Le Réseau Intercontinental de Promotion de l’Economie Sociale Solidaire (RIPESS), qui rassemble des milliers de réseaux locaux, nationaux et régionaux d’Economie Sociale Solidaire (ESS) sur les 5 continents, souhaite partager une liste de recommandations pour le Programme de développement post-2015 avec les Agences des Nations Unies et les Représentants des différents Etats.
Nous souhaitons exprimer collectivement notre vive préoccupation concernant les Rapports de Haut Niveau réalisés pour le Secrétaire Général de l’ONU Ban Ki Moon, et sa proposition présentée lors de la 68ème Assemblée Spéciale sur les Objectifs du Millénaire pour le Développement post-2015. Nous estimons que ces propositions ne permettent pas de relever correctement les défis de taille auxquels l’humanité est confrontée dans un contexte de crises systémiques mondiales répétées, lesquelles sont dues au modèle économique néolibéral en vigueur dans le monde entier depuis des décennies.
Le RIPESS recommande aux Gouvernements d’adopter les recommandations contenues dans le rapportdu Service de Liaison Non Gouvernemental des Nations-Unies (UN-NGLS) intitulé « Advancing Regional Recommendations on the Post-2015 Development Agenda ». Ce rapport est fondé sur les résultats d’une ample consultation réalisée auprès de plusieurs Réseaux et Mouvements sur les 5 continents, et a été remis officiellement aux Etats membres de l’ONU par le Président de l’Assemblée onusienne le 25 septembre 2013 (pour plus d’informations, suivez ce lien : http://www.un-ngls.org/spip.php?page=article_s&id_article=4350).
Les propositions suivantes reposent sur certaines de ces recommandations (révisées), considérées comme essentielles par le mouvement de l’Economie Sociale Solidaire pour engager un véritable changement de paradigme dans le modèle de développement ; elles sont en outre basées sur des pratiques déjà en place. L’Economie Sociale Solidaire représente une partie de la réponse dont nous avons aujourd’hui besoin, et doit en conséquence être reconnue et soutenue de manière adéquate. Les recommandations sont organisées autour de 4 axes : 1- Mettre en place des indicateurs de mesure de la pauvreté, des inégalités et du développement; 2- Réaliser la Transition vers une Economie Juste, Sociale et Solidaire; 3 – Adopter une approche du développement fondée sur les droits humains et 4 – Garantir la participation et la transparence dans les instances/processus internationaux.
1 – METTRE EN PLACE DES INDICATEURS DE MESURE DE LA PAUVRETÉ, DES INÉGALITÉS ET DU DÉVELOPPEMENT
1.1 L’élimination de l’extrême pauvreté n’est possible qu’à condition d’éradiquer l’extrême richesse : La concentration de la richesse (financière, foncière ou liée à la propriété) doit être vue comme ce qu’elle est : une entrave au développement. Par conséquent, nous recommandons que la devise fondamentale des OMD post-2015 soit de « Garantir l’Egalité pour tous dans la Diversité ».
1.2 Des indicateurs de changement de paradigme en matière de développement : une société saine est caractérisée par plusieurs aspects non-monétaires, notamment l’autoproduction et la consommation, les services à la personne, les liens sociaux, les collectifs, la souveraineté alimentaire (ce qui inclut le droit pour les exploitants familiaux et les paysans de préserver, d’échanger et de transmettre leurs semences de façon traditionnelle, de les ressemer et de pratiquer l’agroécologie), les chaînes de distribution directe entre producteurs et consommateurs, le partage, le respect de la diversité des orientations sexuelles et de l’équilibre entre les genres, le respect des cultures traditionnelles et la faculté à s’en inspirer, le rejet du racisme, l’accès à un environnement propre, à l’eau, à la terre, aux moyens de subsistance, à la santé publique et à l’éducation. Les peuples autochtones des pays d’Amérique Latine proposent une vision globale du développement, appelée le BIEN-VIVRE (BUEN VIVIR). En Asie a été mis au point le concept de l’Indice de Bonheur National Brut. Ces cadres fournissent une panoplie d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs permettant de mesurer de façon plus exhaustive le niveau de développement et la santé d’une nation. Des initiatives novatrices en matière de politiques publiques et de lois constitutionnelles fondées sur ces postulats ont été mises au point dans plusieurs pays.
Nous recommandons que ces indicateurs soient considérés comme la pierre de touche pour évaluer la pauvreté, les inégalités et le développement dans les OMD.
1.3 Adopter comme objectif l’inversement de l’aggravation des inégalités, ce qui inclurait : (i) une évaluation en profondeur des causes structurelles des inégalités ; et (ii) des mesures ciblées pour les surmonter.
2 – RÉALISER LA TRANSITION VERS UNE ECONOMIE JUSTE, SOCIALE ET SOLIDAIRE
Des centaines de milliers d’initiatives économiques fondées sur les pratiques collectives sont prises sur tous les continents. Elles sont intrinsèquement inclusives et ancrées au sein d’une communauté, et font naître une participation citoyenne active grâce à la façon dont interagissent les membres. L’émancipation des femmes, l’égalité raciale et religieuse et le respect de la diversité font partie intégrante de ces processus et en sont des éléments essentiels. Cette approche préserve et intègre les cultures autochtones et traditionnelles à travers leurs pratiques, crée des emplois décents, facilite la prise en charge par les communautés locales et les réinvestissements en leur sein.
Ces manifestations sont toutes imbriquées dans les initiatives d’ESS comme partie de son activité économique, qui regroupe divers secteurs, notamment la production de biens et services, le commerce, les chaînes de distribution et de valeur locales, la consommation, la finance, la gestion des ressources naturelles, etc. Dans les zones rurales, une kyrielle d’initiatives agroécologiques est à mettre au crédit d’agriculteurs qui, ce faisant, entérinent avec succès le droit à la souveraineté alimentaire dans les territoires. Ces initiatives protègent la planète, créent des emplois décents, contribuent à lutter contre le changement climatique par le biais d’une réduction globale des intrants agro-chimiques et des produits issus d’OGM (organismes génétiquement modifiés). Ce sont des méthodes éprouvées qui génèrent des rendements supérieurs à ceux de l’agriculture industrielle.
Recommandations :
2.1 Des objectifs et des indicateurs clairs pour que politiques publiques et mécanismes puissent créer un environnement propice au développement de l’Economie Sociale Solidaire, en matière de financement, de mesures fiscales favorables, de critères pour les appels d’offres, de cadres juridiques adaptés et d’accès à l’éducation
Exemples :
- Privilégier les investissements dans la production agroécologique et l’alimentation biologique à petite échelle pour satisfaire les besoins de consommation locaux plutôt que les marchés d’exportation ; promouvoir une réforme agraire et la redistribution des terres ; légiférer pour mettre en place des mesures de protection contre l’accaparement des terres.
- Définir des cadres législatifs et juridiques adaptés à l’ESS fournissant des capitaux à bas coût, déterminant des critères sociaux et écologiques pour des appels d’offres solidaires et dégageant des fonds pour l’aide au développement dans ces domaines.
2.2 Garantir le transfert des Fonds de Développement pour la promotion du développement économique par le biais d’outils de finance solidaire locaux, par exemple des banques communautaires (dont la communauté est propriétaire et gestionnaire), des fonds rotatifs (ROSCA) et des coopératives de crédit locales, étant donné qu’il s’agit des acteurs les plus adaptés au financement du développement local.
2.3 Garantir l’accès universel aux Biens Communs (eau, terrains publics, énergie, air, forêts, biodiversité, diversité, paix, éducation, santé, etc.), qui sont les biens publics de tous les citoyens et citoyennes et ne devraient donc être ni marchandisés, ni privatisés. (a) Promouvoir des politiques véritablement inclusives et redistributrices : garantir l’accès universel aux services publics de base ; (b) Adopter des méthodes de gestion des ressources naturelles telles que la planification territoriale, la gestion commune des ressources, ainsi qu’une approche écosystémique pour instaurer une gestion locale, démocratique et globale des ressources naturelles, de façon à garantir la pérennité et l’utilisation et la répartition justes des bénéfices, (c) S’assurer de la définition d’objectifs clairs pour atteindre lasouveraineté alimentaire, en partenariat avec les acteurs locaux et nationaux concernés.
2.4 Promouvoir la diversification des économies nationales en les orientant vers des formes de production et de consommation plus locales et plus intensives en main-d’œuvre, délaissant les processus gourmands en ressources comme la dépendance vis-à-vis des exportations de matières premières (extractivisme, secteur minier, monoculture, etc.).
2.5 Soumettre les partenariats actuels entre les Etats et le secteur privé (y compris les « partenariats public-privé ») à des mécanismes de reddition des comptes et de transparence conformes aux impératifs que sont les droits humains et la protection de l’environnement.
2.6 Des objectifs de reddition des comptes directe, non seulement pour les grosses sociétés, mais aussi pour les investisseurs, portant sur l’impact positif et négatif des activités des entreprises et des projets dans lesquels elles investissent.
2.7 Définir comme objectif le plein emploi décent pour tous, en prenant en compte les 4 piliers de l’Agenda pour le Travail Décent de l’OIT, et y ajouter le droit au travail associatif et les droits des travailleurs migrants.
2.8 Réviser les accords de commerce et d’investissements internationaux qui limitent la capacité des gouvernements à réglementer le commerce et les investissements étrangers au nom de l’intérêt général, qui imposent des barrières au transfert de technologies, qui font obstacle à une fiscalité juste et qui incluent des mesures non conformes aux objectifs de développement durable.
2.9 S’assurer que l’architecture commerciale est assez souple pour que les pays en développement adaptent leurs politiques commerciales à la protection des moyens de subsistance des petits producteurs, et promeuvent leurs industries embryonnaires, y compris en donnant une importance considérable au Traitement Spécial et Différencié (TSD) et un statut juridique pour les pays en développement lors de la prochaine phase des négociations à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Nous recommandons à l’OMC de retirer l’alimentation de la table des négociations et de mettre ainsi fin à la marchandisation de l’alimentation et aux spéculations la concernant.
2.10 Réformer l’architecture financière internationale, en mettant en œuvre un train de mesures pour éviter que la société paye les pots cassés de la gabegie des entreprises ; renforcer la régulation financière et inverser la financiarisation de l’économie, de façon à enclencher une transition durable de l’économie financière vers l’économie réelle ; établir des objectifs clairs pour contribuer à l’élimination des paradis fiscaux.
2.11 Réformer et démocratiser les institutions financières internationales pour s’assurer qu’elles (i) donnent voix au chapitre aux pays en développement, notamment aux Pays les Moins Avancés, (ii) s’adaptent véritablement aux situations et priorités nationales et régionales ; (iii) encouragent les investissements productifs et (iv) se soumettent aux obligations des Etats en matières de droits humains internationaux.
2.12 Une transformation de la panoplie énergétique : (a) Eliminer les subventions aux industries des énergies fossiles et du nucléaire ; mettre fin aux subventions aux multinationales émettrices de carbone ; et adopter/faire appliquer le principe du « pollueur-payeur » par le biais d’objectifs et de mesures quantifiables ; (b) Promouvoir des sources d’énergie sans émission de carbone, en développant par exemple l’énergie solaire, éolienne et hydraulique à petite échelle ; réduire progressivement mais résolument le recours aux énergies fossiles et nucléaire, toutes assorties d’un fardeau environnemental, financier et social.
2.13 Prendre à bras le corps le problème du changement climatique : Parvenir à un accord international juste, ambitieux et contraignant sur le changement climatique, devant : garantir que les modalités de réduction des émissions de gaz à effet de serre soient conformes aux limites écologiques et au calendrier fixés par la science ; se concentrer sur des mécanismes hors marchés reposant sur la communauté, l’agroécologie et l’économie sociale solidaire, afin de lutter contre le changement climatique.
3 – ADOPTER UNE APPROCHE DU DÉVELOPPEMENT FONDÉE SUR LES DROITS HUMAINS
3.1 Adopter un cadre international des droits humains englobant l’ensemble des accords internationaux sur les droits humains couvrant toute la gamme des droits économiques, sociaux, culturels, civils, politiques et écologiques, ainsi que les mécanismes de défense des droits humains nécessaires, afin d’orienter la formulation de politiques et d’évaluer l’impact aux niveaux national et international.
3.2 Concentrer les efforts sur la protection des droits des personnes marginalisées, notamment celles et ceux qui sont confrontés à des inégalités se recoupant sur la base du genre, de l’âge, de la classe sociale, de l’origine ethnique, de l’indigénéité, des orientations sexuelles, de l’identité de genre, du handicap, des capacités, et/ou du statut de migrant, de demandeur d’asile ou de réfugié, dont beaucoup ont été ostracisées de façon systématique et récurrente par le passé. Les droits sexuels et reproductifs devraient également être inclus.
3.3 Adopter des objectifs focalisés sur le droit des jeunes à un avenir pacifique, caractérisé par des emplois décents et une bonne qualité de vie. C’est en ce sens que doivent être promues les initiatives d’Economie Sociale Solidaire pour les jeunes.
3.4 Imposer le respect des droits humains et des impératifs du développement durable aux industries extractives, en (i) adoptant des cadres réglementaires solides obligeant les industries extractives à répondre des violations des droits humains et de l’environnement ; (b) Respectant, protégeant et garantissant les droits des peuples autochtones au consentement préalable, libre et éclairé, à l’autodétermination et à la terre, aux territoires et aux ressources, étant donné qu’ils sont touchés de manière disproportionnée par les pratiques néfastes des industries extractives et par l’accaparement de terres ; (c) valoriser et promouvoir les initiatives associatives basées sur la communauté ayant un impact environnemental faible en lieu et place des activités d’extraction des multinationales.
3.5 Eliminer les barrières à la libre circulation des peuples entre pays.
4 – GARANTIR LA PARTICIPATION ET LA TRANSPARENCE DANS LES INSTANCES/PROCESSUS INTERNATIONAUX
4.1 Soutenir les mécanismes de participation efficace, transparente et ouverte du Mouvement de l’Economie Sociale Solidaire au sein du Groupe de Travail sur l’Economie Sociale et Solidaire récemment créé par les Nations Unies.
4.2 Nous recommandons que, comme première action, le Groupe de Travail sur l’Economie Sociale et Solidaire des Nations Unies entame un processus annuel de Conférence Inter-agences des Nations Unies sur les Progrès et les Défis liés à l’ESS, réunissant l’Académie sur l’ESS de l’OIT et la Conférence de l’UNRISD en une seule activité consolidée et intégrée.
4.3 Transparence totale sur les négociations et les documents liés au processus de l’accord de Partenariat transpacifique et au Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, et inclusion de mécanismes de consultation pour la participation des acteurs de la société civile de la région.
4.4 Garantir les droits à la participation aux processus post-2015 et à l’accès aux informations afférentes, et s’assurer que ces droits, ainsi que le droit à l’accès à la justice, soient respectés, protégés et garantis dans toutes les instances de gouvernance nationale et internationale.
Source: http://www.ripess.org/
l’article complet ici
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